Rencontre avec Stephan Rousseau (chef du CSN Paca Corse)

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Fumée s'échappant d'un bateau à Marseille
Source : AtmoSud et Michel Neumuller

Publié le 14 novembre 2018

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Stephan Rousseau
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10 % des navires à passagers voient leurs émissions soufrées contrôlées chaque année.
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Stephan Rousseau (chef du CSN Paca Corse)
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Ce service avait verbalisé le navire Azura en mars dernier. Une affaire jugée à Marseille le 8 octobre, pour laquelle 100 000 € d’amende ont été requis. Mais de nombreux autres contrôles ont lieu dans les eaux des deux régions.

 

En mars dernier le navire de croisières italien Azura était contrôlé « positif » par vos soins. Sur quelle base des poursuites peuvent-elles alors être effectuées ?

Les navires à passagers de croisière font l’objet d’une attention particulière du Centre de Sécurité des Navires (CSN PACA CORSE) pour s’assurer de la conformité de la teneur en soufre des combustibles. Navire à passagers, l’Azura entrait dans le cadre de contrôles du CSN PACA Corse, et lui n’avait pas été encore contrôlé par nos services.  Nous avons effectué un contrôle à quai qui l’a révélé rapidement non conforme. En effet, les bons de livraison de carburant mentionnaient clairement l’usage d’un combustible pour une navigation dans les eaux européennes en tant que navire en ligne régulière. En fait l’Azura venait de Barcelone où il avait empli ses soutes de fuel-oil à une teneur en soufre supérieure aux 1,5% requis la réglementation. Il s’agissait d’une pollution en navigation dans les eaux sous juridiction française,  nous avons donc réquisitionné un échantillon du combustible utilisé, pour analyse par un laboratoire. Avant d’entamer des poursuites judiciaires en relation avec le parquet, comme ce fut le cas avec l’Azura,  nous prenons en considération une marge d’erreur possible liée à l’analyse. Pour une exigence de 1,5 % de la teneur maximale en soufre du carburant, nous considérons qu’il y a infraction à partir de 1,62%. Et quand la réglementation dit que le taux de soufre ne doit pas dépasser 0,1% dans le carburant, nous engageons des poursuites à partir de 0,15%. La possibilité de poursuivre des armateurs pour fait de pollution atmosphérique est récente pour le Parquet. Il lui faut la certitude de la preuve du non-respect de la réglementation. La marge d’erreur que nous définissons trouve ici sa justification :

Nous voulons que les poursuites soient lancées avec la certitude que le navire visé est bel et bien contrevenant.
 
 

En pratique comment effectuez-vous ces contrôles-pollution de navires ?

Ces contrôles s’effectuent d’abord sur documentation. En fonction des ports où un navire a pu faire du carburant, nous soupçonnerons ou pas l’utilisation d’un carburant plus soufré que permis. Pour se préparer aux exigences plus importantes à quai ou à l’entrée dans des zones de contrôles d’émission, les navires changent de carburant. Mais comme il leur faudra environ deux heures pour que le carburant moins soufré soit dans les faits celui qui est consommé, ce n’est pas un bon calcul. La procédure de changement de carburant pour respecter la réglementation reste donc très critique et doit être menée avec précaution. Nous disposons d’un logiciel qui cible les navires qu’il sera pertinent de contrôler. Les commandants doivent tenir à notre disposition les bons de livraison des combustibles, qui contiennent déjà l’information sur le taux de soufre, et un échantillon du carburant chargé. Nous pouvons également effectuer un prélèvement de combustible quand le moteur fonctionne. Enfin notre équipe effectue aussi des contrôles en mer. Chaque ferry ou navire à passagers doit s’attendre à un tel contrôle une fois par an. Nous contrôlons ainsi, conformément aux exigences européennes, 10% des navires en escale dans les ports Provençaux et Corses.

 

Quand les navires utilisent un système de lavage des fumées (« scrubbers »), ces contrôles de soute restent-ils pertinents ?

C’est plus délicat, mais tout à fait pertinent. Il nous faut alors analyser la qualité des émissions via l’ enregistrement des temps de fonctionnement des moteurs et des scrubbers, la qualité des émissions apparaît ainsi. Ceci-dit, tous les moteurs d’un navire ne sont pas toujours associés à un scrubber. Et quand ils le sont, nous devons nous assurer de la qualité des paramètres de fonctionnement.

 

Quels sont vos moyens pour contrôler les navires ?

Le CSN PACA CORSE appartient à la Direction Inter-régionale de la Mer Méditerranée et du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire. L’équipe  est constituée de trente personnes dont dix-huit inspecteurs qualifiés pour ces contrôles. Leur aire de contrôle s’étend sur la façade maritime de Provence Alpes Côte d’Azur et de Corse. Ils disposent d’une base de données européenne, Thétis-EU qui permet de cibler nos contrôles. Nous effectuons 180 contrôles documentaires par an ; et sur la base de ceux-ci 50 analyses de combustibles sont réalisées dans un laboratoire agréé. A ce jour, ces chiffres sont plus ou moins les mêmes d’année en année.

 

Quelles sont les bases juridiques de votre action ?

Ce qui rend notre action plus efficace c’est le support juridique et  le renforcement de la collaboration entre le CSN et le procureur de la République. Depuis 2016, cela nous permet de poursuivre plus aisément les contrevenants. Ainsi les compagnies de croisières en Méditerranée affectaient de croire que leurs navires ne correspondaient pas à la définition des navires en  ligne régulière. Elles imaginaient donc pouvoir s’exempter de respecter la réglementation qui limite à 1,5 % le taux de soufre de leur carburant. L’État a rappelé clairement que tel n’était pas le cas. Déjà en 2014 l’Italie avait demandé à la Cour de Justice Européenne ce qu’il en était. Celle-ci s’était prononcée, en considérant que ces navires font bien des lignes régulières.

 

Que dit la réglementation que vous êtes chargé de faire appliquer ?

À ce jour, la réglementation internationale relative à la prévention de la pollution de l’air par les navires, concerne essentiellement les oxydes de soufre et les oxydes d’azote. Notons qu’elle comprend également les substances susceptibles d’appauvrir la couche d’ozone. A ce jour, il n’existe pas de réglementation sur l’émission de particules fines émises par les moteurs diesels des navires. Pour les contrôles relatifs aux émissions d’oxyde de soufre, je peux rappeler la réglementation actuelle pour vos lecteurs : le taux de soufre admis sur les navires est d’un maximum de 3,5 % en navigation, sauf dans les zones protégées SECA (Sulphur Emission Control Area), telles que la Mer du Nord et la Baltique, où ce taux ne doit pas excéder 0,1 %. Ce taux de 0,1 % est également celui du carburant que doit utiliser tout navire à quai plus de deux heures dans les ports européens. Enfin, les navires à passagers en ligne régulière, eux, ne doivent pas utiliser en navigation  un carburant qui excède 1,5 % de soufre. A partir du premier janvier 2020 la contrainte se renforcera puisque, hors SECA, tous les types de navires devront utiliser un carburant dont le taux de soufre ne dépasse pas 0,5 %.