Rencontre avec Alain Mistre, Directeur d’exploitation portuaire

Publié le 14 décembre 2018

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Alain Mistre
Alain Mistre
(Source : Michel Neumuller)
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A l’origine nous avions mis au point un plan de réduction de nos émissions atmosphériques sur trois ans. Notre compagnie est très jeune en effet, aussi cela nous semblait adapté. Et puis, finalement, nous avons décidé d’accentuer encore notre politique d’investissement, grâce à nos bons résultats. Notre mission est de rendre la flotte plus responsable au niveau environnemental.
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Alain Mistre ( Directeur d’exploitation portuaire & responsable Qualité-Sécurité de Corsica Linea)
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« Des grands changements aux petites modifications tout compte pour réduire notre impact »

La jeune compagnie de navigation contribue aux transports de voyageurs Corse-Provence ; elle a divisé ses délais par deux pour passer à l’électrification des quais à Marseille, mais ordonne de nombreuses autres initiatives pour diminuer ses émissions polluantes. « L’optimisation économique va de pair avec l’effacement atmosphérique » soutient notre interlocuteur.

 

Votre compagnie a décidé d’alimenter trois de vos sept navires en électricité à quai à Marseille. Dans quelles conditions ?

Nos groupes électrogènes consomment du fioul à 0,1% de soufre, et nous commençons les transformations du Paglia Orba en janvier prochain, durant un arrêt technique. Puis le Pascal Paoli et le Jean Nicoli suivront, eux au premier trimestre 2020. Il s’agit d’adapter ces navires afin qu’ils consomment l’électricité fournie à quai ; c’est un chantier assez conséquent qui nécessite du temps. Or, notre délégation de service public pour la liaison Corse-Marseille ne nous permet pas d’arrêter nos navires hors de ces temps de maintenance, obligatoires et programmés. Ces travaux nécessitent donc une harmonisation avec ceux que le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) a prévu pour nous fournir deux branchements électriques : au poste 78, en plus du poste 74, lui déjà équipé.

 

Quel est le coût de cette électrification pour vous ?

L’Ademe et la Région Sud financent tous deux à hauteur d’un million et demi sur un total qui avoisinera les cinq millions d’€uros. J’aimerais souligner que la réglementation ne nous oblige pas à choisir cette voie. Nous le faisons car nous participons à un mouvement collectif, aux côtés de tous les acteurs que j’ai cités, en faveur d’une transition énergétique durable et responsable.

Le soutien financier public a raccourci tous les délais

 

Votre société a été créée en 2016. Ces projets faisaient partie de vos priorités ?

À l’origine nous avions mis au point un plan de réduction de nos émissions atmosphériques sur trois ans. Notre compagnie est très jeune en effet, aussi cela nous semblait adapté. Et puis, finalement, nous avons décidé d’accentuer encore notre politique d’investissement, grâce à nos bons résultats. Notre mission est de rendre la flotte plus responsable au niveau environnemental.

À partir de là nous avons lancé un appel d’offres auprès des sociétés pour le matériel de transformation des navires, et discuté l’harmonisation des calendriers avec le GPMM.

En parallèle, la Région Sud et l’Ademe se sont montrées très à l’écoute et très réactives dans le déclenchement de leur soutien financier. Ce qui explique qu’en un an et demi, pas plus, nous voici amenés à lancer la transformation de trois de nos navires, sur les quatre assurant la liaison Corse-Continent.

 

Trois navires promis à l’électricité. Quid du quatrième qui assure la liaison Corse-Continent, le Monte d’Oro ?

Son électrification n’est pas encore prévue. Nous devons prendre en considération les évolutions technologiques très rapides du monde de la navigation. S’ajoute à cela le fait que chaque navire a ses spécificités techniques.

 

Vous avez d’autres initiatives environnementales en cours ou en projet ?

Notre approche environnementale est celle d’une prospection très large sur l’ensemble des innovations qui émergent tant à bord que sur toute la chaîne logistique. Ainsi, nous faisons partie des acteurs maritimes qui soutiennent fermement le développement de la propulsion GNL des navires, et, de facto, de l’émergence d’une véritable filière GNL. Ce carburant apparaît en effet aujourd’hui comme le combustible de l’avenir. Pour ce faire, tous les acteurs sont mobilisés : du GPMM aux armateurs adhérents à la Plateforme GNL.

Pour revenir à l’électrification des navires à quai, ce n’est en effet pas là notre seule action. Nous  profitons de chaque arrêt technique pour déployer, à bord de nos navires, des améliorations technologiques destinées à en réduire l’impact environnemental. A titre d’exemple, je citerai l’ajout d’appendices aux hélices de nos navires Pascal Paoli et Danielle Casanova, afin d’en réduire la cavitation, c’est-à-dire la formation continue de bulles d’air qui dégraderaient peu à peu la qualité de l’hélice. Plus nous réduisons ce phénomène, mieux l’hélice se comportera dans le temps, et moins nous consommerons de carburant fossile, conséquemment moins nos navires diffuseront de polluants dans l’air. Il est important de comprendre que la transition énergétique passe aussi par des mesures ciblées, des ajustements, des « micro » innovations, qui, additionnées, ont un impact très positif sur l’environnement. Le remplacement des néons dans nos garages par des LED en est un autre exemple. 

Également, depuis la mi-2018, nous suivons nos consommations de combustibles en fonction des situations dans le cadre du suivi de rendement énergétique navire (SEEMP et système Mesuring Reporting Verification). L’objectif ici est de mesurer nos consommations et mettre en place différents moyens pour les réduire, ainsi qu’au final, nos émissions atmosphériques.

 

Quitter le port à l’heure réduit les émissions polluantes

Une de nos actions consiste aussi à optimiser le chargement des navires. Nous les chargeons plus tôt à Marseille, afin d’éviter tout retard au départ. La logique sera compréhensible par tout automobiliste : quand vous partez en retard, vous essayez de rattraper ce retard en accélérant. Sur mer cela se traduit par une surconsommation de fioul qui peut atteindre un cinquième du total, que vous retrouveriez fatalement dans l’air. Les questions d’organisation ne sont donc pas anodines. Pour nous cela se traduit par un chargement dès onze heures du matin. Cette nouvelle organisation est rendue possible grâce à la mobilisation des équipages et des équipes de manutention. Grâce à notre capacité collective d’adaptation pour optimiser l’organisation de notre chargement, nos navires ne partent plus en retard. Il est toujours intéressant de constater qu’une action vertueuse sur le plan économique l’est en même temps sur le plan environnemental, même s’il nous reste encore à estimer plus finement les gains de nos efforts sur le plan énergétique. En six mois, nous avons déjà accompli un travail considérable, que nous comptons assoir avec la réalisation prochaine de ces évaluations.

 

Quel rôle dans ces projets pour les Associations Agréées de Surveillance de la Qualité de l’Air ?

AtmoSud et Qualitair nous aideront à établir des priorités, en cohérence avec notre plan de rendement énergétique. Ils nous accompagneront pour répondre à cette question : comment réduire, au plus tôt, nos émissions atmosphériques ? Ce plan est obligatoire, validé par les autorités. Autrement dit, il est imposé, mais nous allons au-delà – c’est l’objectif même du renforcement de nos liens avec AtmoSud et Qualitair, dont l’expérience ne peut que nous être bénéfique. Nous sommes sur tous les fronts pour réussir notre transition énergétique et œuvrer à un transport maritime, qui cohabite harmonieusement avec les usagers des ports et les citoyens.