Rencontre avec Frédéric Pradelle (Ramboll)

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fumée s'échappant d'un bateau à Marseille

Publié le 2 novembre 2018

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Frederic Pradelle
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Les ports ne peuvent plus réfléchir qu’en termes de croissance du trafic. Leurs plans de développement doivent être accompagnés de plans environnementaux.
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Frédéric Pradelle (Consultant, Responsable Europe-Afrique du Service Qualité de l’Air chez Ramboll)
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Pour effacer la pollution portuaire le plan d’action est crucial 

 

Les actions en faveur de la qualité de l’air en milieu portuaire ne peuvent être dissociées du cadre qui les assemble et en évalue ensuite le résultat. Pour Frédéric Pradelle, il n’existe pas d’action choc efficace, mais un ensemble de leviers qu’il faut activer de manière coordonnées, avec pour ligne d’horizon un résultat quantifiable.

Vous estimez qu’aujourd’hui, en matière de lutte contre la pollution atmosphérique en milieu portuaire, les exemples efficaces sont Américains. Pourquoi ?

L’exemple des USA est démonstratif, il y a des résultats à long terme parce que des actions ont été planifiées longtemps à l’avance et organisées dans un plan, ce qui n’est généralement pas le cas en France, où des actions fortes sont décidées telle année, avant qu’on ne s’occupe d’autre chose l’année d’après…Une logique de communication prime trop souvent ; annoncer l’électrification de quais, effacer la pollution de deux bateaux. Bien ! Mais où sont la ligne directrice et l’évaluation des actions sur le long terme ?

Or, dans l’exemple américain, certes tout ne serait pas à conserver, mais la mise en place d’indicateurs de suivi permet de vérifier que les actions donnent des résultats en terme de qualité de l’air, et que peu à peu ça avance. En France, souvent en Europe, nous gagnerions à vérifier l’efficacité des actions mises en œuvre. Nos ports à nous ne sont pas en mesure de dire si leurs actions rendent des résultats, ou pas,  cinq ans après avoir lancé une action.

Mais comment peuvent concrètement agir les ports pour abaisser le niveau de pollution atmosphérique  que leur activité génère ?

Un port dispose de leviers pour améliorer la qualité de l’air, à partir d’une sorte de boîte à outils, et l’expérience montre que ce n’est pas un seule action qui améliorera cette qualité. Ainsi l’écoconduite des navires, leur ralentissement à l’arrivée dans les ports, joue un rôle important. Mais favoriser l’arrêt des moteurs auxiliaires à quais aussi. Et la logistique à quai, favorisant l’utilisation de camions à basses émissions s’avère également importante. Plusieurs outils peuvent donc être utilisés par les Ports. Et cependant aucun ne sera déterminant, il convient donc d’en utiliser plusieurs, de manière coordonnée. Mais le fait crucial sera de les utiliser dans le cadre d’un plan, un Clean Air Plan qui donnera des résultats sur dix ans. Ce sera peut-être plus lent qu’une action choc, mais plus sûr.

Où en sommes-nous en Europe de ce point de vue ?

Il m’est plus facile d’évoquer les ports de la côte Ouest des États-Unis et, de plus en plus, ceux de la côte Est, car ça avance là-bas. Désormais en Europe, je peux toutefois citer l’exemple du port de Rotterdam, mais aussi celui de Venise, qui a dressé son propre plan de la qualité de l’air.

Mais, en fait, les exemples sont bien actuellement surtout américains. Et les problématiques, elles, sont égales à Los Angeles et à Marseille. Bien sûr à Marseille ou à Venise le port est au cœur de la ville, ce qui ajoute au problème. Mais les leviers eux aussi, partout, sont généralement identiques. Il est partout possible d’agir sur les équipements portuaires, sur les navires eux-mêmes, et tout autant  sur les accès au port et sur le trafic routier induit. Le tableau de bord, lui aussi, peut-être dressé partout : avec une surveillance de l’air en continu certes, mais surtout grâce à un suivi sur plusieurs années, des bilans d’émission qui permettront de suivre ce qui est émis à l’échelle du port et l’évolution de ces émissions dans le temps, polluant par polluant. Quantifiant ces émissions, les ports Américains ont mis en lumière une baisse importante des émissions à l’atmosphère en quelques années, et donc validé les actions engagées. En Europe les plans sont plus récents ; nous avons donc moins de recul car moins de résultats.

Comment peut-on s’assurer de l’efficacité de cet ensemble de mesures ?

Il faut être capable de quantifier les émissions, un inventaire s’avère donc indispensable à échelle du port lui-même, et non de la ville en général. Il est indispensable de savoir ce qui est du à l’activité portuaire dans la pollution de la ville. Les émissions théoriques des navires par type sont connues, on sait ce qu’ils émettront en oxydes de soufre, d’azote ou de particules. Le port qui raisonne sur l’ensemble des navires faisant escales peut choisir de définir des objectifs. Par exemple, à échéance de cinq ans, il peut décider d’électrifier 40% de ses quais, et d’évaluer le gain en termes d’effacement de ces émissions.

Mais vous pouvez tout aussi bien considérer le cas d’un port minéralier, où le problème pourra être l’envol de poussières en cours de déchargement. Alors là il, vous faudra prévoir d’autres solutions techniques permettant l’abattement des poussières en suspension. Source par source de pollution, il est possible d’agir. Mais c’est à partir de l’inventaire que vous pourrez savoir quelles sont les principales sources d’émission d’un port. Le diagnostic établi, vous pourrez voir comment agir. Et le même inventaire d’émissions vous permettra d’évaluer l’impact de ces actions après, mettons, dix ans.

Quelle entité selon vous doit piloter la démarche de réduction des émissions portuaires ?

La vision à long terme, c’est le Port en tant qu’entité qui peut l’avoir, plus que le politique. L’horizon de ce dernier sera souvent la prochaine échéance électorale. Même si les bornes réglementaires sont très importantes, comme la mise en place d’une zone ECA (basse émission soufrée) en Méditerranée, ce sont bien les initiatives du Port en faveur de la durabilité qui seront déterminantes. Les ports ne peuvent plus réfléchir qu’en termes de croissance du trafic. Leurs plans de développement doivent être accompagnés de plans environnementaux. Tout cela, le mieux c’est que le port l’assume lui-même, et qu’une concertation des acteurs soit organisée autour de ces plans. C’est une question de responsabilité : même si le nombre d’acteurs et d’entreprises à l’échelle d’un port peut rendre l’exercice difficile, même si les compagnies maritimes ont une responsabilité et un rôle à jouer, un port devrait finalement agir comme il est demandé de le faire à un industriel, c’est-à-dire d’évaluer clairement ses émissions, son impact, et de mettre en place des mesures de réduction acceptables pour les riverains.  Les résultats ne seront pas immédiatement spectaculaires, mais réels sur le long terme. Ainsi le port de Los Angeles a vu ses émissions de particules diminuer de 85% entre 2005 et 2015. Mais les ports européens n’utilisent pas ce type d’indicateur de suivi. Pas encore…